Après les massacres de Sabra et Chatila, ma mère ne parvenait plus à joindre par téléphone sa famille. Son père a été kidnappé par une milice alors qu’il se rendait chez un ami cueillir les olives. Ma mère a appris cette nouvelle en recevant une lettre de Habib où il lui demande de ne pas s’inquiéter et il ajoute : « Nous sommes fatigués. Nous sommes vraiment fatigués. Avec Elias, nous nous sommes réconciliés. Je t’ai écoutée, la politique ne peut pas nous séparer entre frères. De toute façon, je crois qu’Elias n’en peut plus et qu’il veut rendre sa carte du Parti communiste libanais. Il est dégoûté par tout. Sept ans de guerre, tu te rends compte ? Sept ans pour ça ! Un chaos total et absolu. Combien d’amis avons-nous perdu à cause de cette foutue guerre ? Tu as entendu ce qui s’est passé à Sabra et Chatila ? J’imagine que oui. Je ne veux pas y croire. Je ne peux pas y croire.
Nous projetons avec Elias d’ouvrir une librairie, une galerie d’art et une maison d’édition. L’idée semble folle mais crois-moi, c’est ce qu’il y a de mieux à faire : réinstaurer un peu de beauté dans ce pays. Face à ces hommes qui tuent, nous devons créer de l’art et tu sais combien j’y pense. Les gens ont besoin d’espace pour se déconnecter de cette réalité si ignoble et notre quartier est (pour le moment !) épargné par la guerre.
Qu’en penses-tu ?
Pourriez-vous nous aider un peu financièrement avec Kaïssar ?
On pense installer la librairie en bas de la maison, au rez-de chaussée. Au sous-sol, créer un espace pour la galerie, un lieu d’exposition et un dépôt pour garder les œuvres des peintres, des sculpteurs, des photographes. On a déjà pensé à comment réaménager l’espace. J’ai dessiné quelques plans, je te les enverrai la prochaine fois, je dois encore arranger quelques petits détails. »